Que reste-t-il de Harry Mayson ?

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Année 3152, quelques mois après la disparition du commandant Jameson
Système 12 Trianguli, Base INRA – Tylor Keep 

Préoccupé, Harry Mayson débarquait sur Taylor Keep après un voyage de plusieurs semaines. La base n’avait pas donné de réponse aux multiples sollicitations d’appontage du pilote. Sous l’ordre de Mayson, le pilote engagea une approche prudente sur la station au sol. Le transporteur Adder fit d’abord quelques manœuvres à haute altitude puis commença à descendre en réalisant des cercles de plus en plus larges au fur et à mesure qu’il s’approchait du sol afin de toujours garder une distance équivalente avec la base. Tylor Keep était une base militaire secrète de l’INRA (Intergalactic Naval Reserve Arm), soit de 1er niveau de sécurité. Sans autorisation, Mayson savait que l’INRA n’hésiterait pas à faire feu, et ce, dans le seul but de pulvériser le vaisseau sans autre forme de procès. Le pilote le savait également. Pour cela, il gardait instinctivement la main gauche prêt à pousser la manette des gaz pour décamper à la moindre anomalie. Mais si tel était vraiment le cas, tous deux savaient qu’ils seraient réduits en poussière avant même que le pilote ne puisse appliquer la moindre accélération au vaisseau. Toutes les dix secondes, le pilote annonçait leur présence, mais le transpondeur restait inlassablement muet. Ce qui n’arrangea pas l’inquiétude de Mayson, assis dans le fauteuil du co-pilote, les yeux fixés sur le radar.

Harry Mayson représentait la Galactic Insurance Co. Il fût envoyé en tant qu’expert par la Cowell & McGrath, dans le but rédiger un rapport précis sur la disparition du vaisseau du commandant Jameson, le Cobra MkIII JJ-386. Après une longue et fastidieuse enquête préliminaire classée secret-défense, il fut démontré, registre des vols à l’appui, que le dernier saut de Jameson avait été fait vers le système 12 Trianguli. Il restait cependant beaucoup de zones d’ombre ainsi que pas mal d’incohérences sur les événements précédant son arrivée à Tylor Keep, base inconnue jusqu’alors des différents services concernés par le dossier. Mayson avait la lourde tâche de prouver explicitement que Jameson était, pour faire simple, soit pleinement responsable de la série d’événements qui provoquèrent sa disparition, soit une victime. L’objectif final était de retrouver le vaisseau du commandant afin de procéder à une expertise technique et démontrer que l’origine de l’hypothétique accident était technique, humaine ou un malheureux accident. Ainsi, la Galactic Insurance Co. saurait si elle allait devoir sortir le chéquier ou renvoyer la responsabilité au parti concerné. Quoi qu’il en soit, tous savaient qu’une éprouvante bataille juridique s’annonçait sur les quelques décennies à venir. Même si, en ce moment précis, Mayson n’en avait que faire… Lui et son pilote serraient les fesses en approchant de Tylor Keep.

Les deux réacteurs du Adder refroidissaient. Le vaisseau s’était posé depuis plusieurs minutes sur la seule plateforme d’appontage. Durant toute la procédure d’approche, pas de lien d’aucune sorte ne fût établi avec la base pour une autorisation d’atterrir. Par le seul fait que Mayson et le pilote étaient encore vivant confirmait quelque chose d’anormal. Ils observèrent les quelques bâtiments depuis le cockpit, mais rien ne bougeait. Aucune activité extérieure du moins. C’était une base à flanc d’une petite chaîne de montagne : quelques bâtiments, quatre tout au plus, des petites installations et une moyenne tour s’élevait juxtaposée à la large plateforme d’atterrissage.

Comme aucune communication était envisageable avec la base, il était dès lors impossible de descendre dans le hangar. Le seul moyen de circuler sur Tylor Keep était par une EVA (Extravehicular activity ou sortie extra-véhiculaire). Mayson enfila à contrecoeur une combinaison pressurisée et descendit sur la plateforme d’appontage. Il testa rapidement que la communication avec le vaisseau était bien opérationnelle et se mit en route en direction de la tour, à la recherche d’une éventuelle porte d’accès. L’expert détestait les EVA. Cette sensation, d’être aussi vulnérable, le terrifiait et il devait prendre sur lui pour ravaler son anxiété. Harry Mayson n’était manifestement pas un homme de terrain.

Cette première excursion vers la tour lui prit trente bonnes minutes.
— Dan, j’ai fait un premier tour, mais je n’ai vu aucun accès… Je vais aller voir le bâtiment le plus proche… Tu vois ? Celui avec la grosse antenne devant la rampe… Dan ? répéta Mayson ne recevant pas de réponse du pilote. « Dan, tu m’entends ? » insita-t-il.
— Ouais, voilà. Sorry Harry, j’étais occupé avec la check-list. Il y avait quelques alertes de maintenance à contrôler… Ok, oui, je vois le bâtiment. T’as besoin d’aide ?
— Non non, ça va jusqu’à présent, répondit Mayson, le souffle court.

Chaque pas était une épreuve pour Mayson. Il devait combiner l’effort musculaire et son souffle. La combinaison pressurisée rendait chaque mouvement lourd et lent, sans compter sur l’encombrement du système de survie qu’il portait au dos. Mètre après mètre, il approcha du bâtiment visé, mais en cours de route, il s’en détourna pour celui, juste derrière, qu’il reconnut comme une installation d’habitation. Trop occupé à lever ses pieds, Mayson en oublia d’en avertir le pilote. Devant l’accès du bâtiment, il prit la poignée enfoncée à droite de l’écoutille et l’a tourna de 90 degré. A la surprise de l’expert, les trois éléments de la paroi hermétique coulissèrent. Du gaz s’échappa et laissa place à un sas. Mayson s’engouffra instinctivement à l’intérieur. Il y faisait sombre, juste l’éclairage de secours permettait de distinguer le volume global de l’accès. Il y avait aussi un écran de terminal à proximité de la seconde écoutille du sas. L’installation d’habitation semblait opérationnelle et Mayson en voulu avertir Dan, mais il fut interloqué par l’affichage du terminal qui indiquait en vert : Présence à bord. Accès autorisé. Il poussa machinalement avec son gant sur le bouton « Accès module habitation II ». L’écoutille extérieure se ferma aussitôt, se verrouilla et la pressurisation du sas s’enclencha dans un vacarme qui fit monter le rythme cardiaque de Mayson à 200bpm. Une lumière vive prit place à l’éclairage de secours. Tout indiquait qu’il pouvait enlever son casque, mais Mayson préféra le garder. Pas par excès de prudence, mais ainsi, il pouvait maintenir actif le HUD (Head up display, affichage sur la visière par projection) du casque. Il fit tourner la seconde poignée. L’écoutille vers les différents modules d’habitation s’ouvrit et, après une courte hésitation, il s’avança prudemment dans le couloir principal. Dérangé par le système respiratoire du système de survie et, accessoirement, par les battements de coeur qui raisonnaient dans ses oreilles internes, Mayson n’arrivait pas à écouter distinctement les éventuels sons et bruits qui venaient de l’intérieur. Il se concentra sur le HUD qui scannait automatiquement chaque élément visible. Mayson recherchait la présence, signalée à bord sur le terminal, avec une certaine appréhension. Il passa le premier module qui se tenait à sa droite, sorte de grand vestiaire. Aucun désordre apparent. Il arriva ensuite dans le module de vie commune, relativement grand. Table à manger, cuisine et salon pour accueillir une dizaine de personnes au moins. Il y avait quelques accessoires de cuisine sur la table et les chaises n’étaient pas bien rangées. Mayson commença à comprendre qu’ils étaient peut-être plusieurs. Il redoubla de vigilance. Il traversa le module pour emprunter le couloir en face, vers les cabines personnelles.

— … pour ça que je… je pense qu’il faut le faire di… directement, en l’activant…

Mayson se pétrifia. La porte de la deuxième cabine était entre-ouverte. Il attendit quelques secondes en dehors de la cabine pour écouter cette voix avec un accent qu’il n’arrivait pas à définir.

— Si, je vous assure, c… cette fois ca f… fonctionnera. Les pa… paramètres ont été ajustés. Les calculs ont été v… vérifiés quatre fois…. Euh oui, t… trois fois pardon… Oui, je comprends bi… bien.

Il n’arrivait pas à entendre la seconde voix, mais ça semblait discuter sur des tests à effectuer. Mayson réfléchissait comment annoncer sa présence sans créer la panique à bord.

— NON ! Je n’abandonnerai pas la station sans avoir te… terminé ! Il y a encore d… des données à effacer… des données à effacer… des données à effacer… des données à effacer…

L’homme dans la cabine se mit à sangloter. Mayson était déstabilisé et attendit, paralysé, la sortie du deuxième intervenant maintenant que la discussion semblait s’être promptement terminée. Ils allaient se retrouver face-à-face. Mais rien ne vint. Il avança jusqu’à l’embrasure de la porte et découvrit un homme recroquevillé à même le sol. Et plus étrange encore, il était seul. Mayson chercha alors un terminal de communication pour s’expliquer la conversation qu’il avait écoutée. Mais il dut admettre que l’homme à terre avait bien discuté tout seul. Il rentra dans la cabine et saisit l’homme pour le relever en prenant soin de poser chacun de ses gestes pour ne pas provoquer de frayeur. L’homme se releva sans difficulté et fit face à Mayson. Il le salua et se présenta comme si de rien n’était.

— Amaro Hem, coordinateur de mission sur Tylor Keep. J’espère que vous avez fait bon voyage.
— Je… euh… Harry Mayson… Oui, mais… c… comment est-ce qu…
— Venez, je vais vous servir un bon café.

Mayson le suivi, décontenancé. Il déverrouilla la fermeture du casque, le fit pivoter d’un centimètre et le retira avant de s’asseoir à la table de la cuisine. Amaro le regarda faire sans se poser de questions et servit le café chaud.

Amaro Hem était tout à fait présentable. Rasé et en bonne forme. Il portait une combinaison d’intérieur classique qui abordait fièrement le logo de l’INRA en haut à gauche de la poitrine. Ses courts cheveux noirs étaient peignés sur le côté. Mayson n’osait pas encore aborder ce qu’il avait vu et entendu dans la cabine. Il le sentait psychologiquement fragile alors il posa une simple question innocente d’apparence.

— Ca fait combien de temps que vous êtes ici ?
— Oh, ca fait à peine une semaine. Et je serai parti d’ici la fin du mois, répondit-il avec certitude.
— Ah… et vous avez un vaisseau ?
— Non, ils ont tout embarqué lors de l’évacuation de la base. Pour éviter de se faire repérer, ont-il dit. Ils viendront nous récupérer quand j’aurais fini les procédures d’évacuation.
Mayson tiqua sur le « nous » mais ne le releva pas préférant continuer naturellement la conversation :
— Et qui consiste en quoi ?
— Je dois effacer toutes les données sur les recherches du virus Mycoïd et détruire les échantillons des tests. Fameuse responsabilité, dit-il fièrement après un silence. Et vous, vous êtes ici pourquoi ?
Mayson savait que cette question serait abordée tôt ou tard, mais il n’eu pas le temps de répondre. Un petit signal sonore se mit en route et prit toute l’attention d’Amaro. C’était le circulateur d’air interne qui indiquait la fin d’un cycle. Rien d’anormal. Mais Amaro était tout en affaire, il partait et revenait presque en courant devant le regard interrogateur de Mayson. Il s’arrêta enfin devant le terminal principal du module d’habitation et engagea une conversation. Etant son seul interlocuteur, Mayson commença à répondre, mais il comprit vite qu’Amaro parlait à quelqu’un d’autre… Ce dialogue absurde tourna même au vinaigre, Amaro commença à insulter son interlocuteur imaginaire et l’envoya régler le problème à l’extérieur. Mayson se posa la question si, pour Amaro, il faisait également parti de son environnement mental… Amaro reprit son calme et revint s’asseoir. Mayson prit les devant pour éluder la question du coordinateur de mission restée en suspend suite à « l’incident ».

— En tant que coordinateur de mission, vous avez dû avoir des contacts avec le commandant Jameson et sa mission, non ?
— Exact ! Mon chef d’oeuvre, dit-il, encore une fois, avec beaucoup de fierté. Au départ, j’avais pas mal de réserve quant à sa capacité à exécuter correctement ma… la mission. Comprenez que sa mise en place est l’oeuvre d’une vie… Ma merveille…
— Et qu’est ce qui vous a convaincu ?
— Finalement, il n’était qu’un exécutant pour piloter et pousser un bouton. Tout avait été méthodiquement pré-programmé suivant mon savoir-faire. Il est là le vrai boulot : dans la préparation.
— C’est fascinant, dit Mayson en se forçant un peu. Est-ce que je pourrais consulter les documents de cette fantastique et merveilleuse préparation ? Mayson craignis d’en avoir trop fait.
— Bien sûr, répondit Amaro, des étoiles plein les yeux. Justement, j’ai hâte de recevoir des nouvelles sur la réussite de la mission. Elles devraient arriver d’un jour à l’autre… J’espère que cet imbécile a réglé ce problème d’antenne d’ailleurs… Attendez-moi ici un instant, je vais aller chercher le terminal de mission.

Ce que Mayson avait devant les yeux occulta les propos complètement aberrants qu’Amaro venait de tenir. Il parcourra les différents documents pendant une heure sous les commentaires enthousiastes d’Amaro. Tout ce qu’il lui fallait pour rédiger son rapport était sur la table. Des détails de toutes les étapes de la préparation, toutes les modifications apportées au vaisseau. Amaro n’exagérait pas tant que ça en fin de compte sur son savoir-faire. C’était du bon boulot. Il avait même le système cible de la mission pour retrouver le Cobra du commandant Jameson. Mais avant tout, il allait devoir rejoindre le pilote et son Adder sur la plateforme d’atterrissage avec le terminal de mission portatif du coordinateur. Mayson commit l’erreur d’essayer de raisonner l’esprit déséquilibré d’Amaro. Celui-ci ne comprit qu’une seule chose dans les justifications de Mayson : il voulait voler son chef-d’oeuvre. Cela le mit dans une rage folle, bondi sur Mayson et tenta de l’étrangler. Les deux hommes luttèrent et Mayson finit par prendre le dessus en le faisant valser sur le côté. Amaro se cogna le crâne au pied métallique de la table encré au sol. Du sang jailli de la collision. L’expert profita de l’occasion pour ramasser le terminal et fila vers la sortie sans se retourner.

Mayson était à mi-chemin. Il suffoquait à l’intérieur de son casque. Il ne pouvait s’empêcher de jeter des coups d’oeil incessants derrière lui, mais Amaro ne le coursait toujours pas. Mayson frissonna à l’idée qu’il l’avait tué. Quoi qu’il en soit, il avait prévenu le pilote pour lancer la procédure de décollage et mettre les réacteurs du Adder en route. Le départ de Tylor Keep se ferait de manière précipitée.
— Dan ! C’est ok ?! Je ne suis plus qu’à une trentaine de mètres… hurla Mayson. Ce qui lui demanda un effort supplémentaire.
— C’est en ordre, on est paré au décollage. On attend plus que toi !

Mayson mit enfin un pied sur la rampe d’accès à la plateforme quand un souffle le projeta en arrière. En se relevant laborieusement, il avait toujours le terminal portatif qu’il serrait de toutes ses forces, mais il n’y avait plus de vaisseau.
— Dan ? murmura-t-il ébahit.
Le pilote avait été pulvérisé. Des débris volaient de toutes parts. La faible gravité de la planète laissa partir les morceaux du vaisseau aux quatre coin de la base. Un mélange de poussières et de gaz flottait dans le vide. Mayson mit quelques instants à réaliser ce qu’il s’était passé. Il remarqua que les tourelles de défenses scannaient l’espace par de petits mouvements rotatifs. Amaro avait ré-activé le système de sécurité qui, dès lors, détecta la présence d’un vaisseau non autorisé sur la plateforme. Mayson fit marche arrière. Hors de lui. Son seul moyen de retour. Pulvérisé. Pourquoi ? Devant l’écoutille du module d’habitation, il tourna la poignée avec ardeur pour l’ouverture du sas. Une expiration projeta sur Mayson des morceaux de chairs et de parties humaines, le tout flottant dans un liquide rouge vif… Amaro, pensa-t-il. Il s’était volontairement introduit dans le sas sans combinaison pressurisée. Mayson le comprit quand, à l’intérieur, le coordinateur avait écrit avec le sang de sa blessure au crâne « bonne nuit et bonne chance ».

Mayson passa plusieurs semaines à attendre une hypothétique navette de secours avant de commencer à perdre la raison. Au début, il s’en rendit compte et lutta par divers moyens. Puis, il finit par oublier qu’il était seul…

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